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La morphologie dérivationnelle: une stratégie efficace pour l'élève dyslexique-dysorthographique?

Par Nathalie Chapleau


 

Intervenante : Dans la phrase : « Le jardinier a apporté tout son outillage. », tu as mis un « j » dans la dernière syllabe du mot « outillage ». Est-ce que tu connais le mot de base de ce mot construit?

Élève : Je pense que c’est « outil ».

Intervenante : Tu as raison. Connais-tu le sens de « outillage »?

Élève : Beaucoup d’outils.

Intervenante : Très bien, « outillage » est un ensemble d’outils. C’est un mot construit avec le mot de base « outil » et le suffixe « age » qui signifie un collectif ou un ensemble. Donc, pour orthographier « outillage », tu dois utiliser les lettres « A - G - E ». Lorsque tu doutes de l’orthographe d’un mot, tu peux penser à la structure du mot, aux préfixes et aux suffixes.

 

Comme le démontre cette vignette, pour l’élève dyslexique-dysorthographique, produire les mots avec précision représente un défi constant. Pour eux, puisque la conversion graphèmes-phonèmes ou phonèmes-graphèmes n’est pas automatisée, des erreurs lors de l’identification ou de la production des mots écrits sont fréquentes. Par exemple, en lecture, une erreur associée à l’utilisation du traitement alphabétique serait que l’apprenant effectue une substitution phonémique (ex. : fiston → viston). Alors qu’en écriture, une erreur associée à l’utilisation du traitement orthographique amènerait l’apprenant à écrire un mot en substituant des graphèmes sans changer la valeur sonore du mot (ex. : maison → maizon). Dans ce cas, est-ce que l’enseignement des connaissances en morphologie dérivationnelle peut soutenir cet élève à identifier et à produire les mots avec précision?


La morphologie dérivationnelle concerne la compréhension et l’utilisation des morphèmes, c’est-à-dire les plus petites unités de sens dans un mot comme pré- dans prévoir ou -iste dans pianiste. En enseignant aux élèves que les mots sont construits à partir de mots de base, de préfixes et de suffixes, l’intervenant les aide à :

  • comprendre le sens des mots construits et ceux de mots inconnus,

  • améliorer leur vocabulaire pour favoriser la compréhension en lecture (Nagy, Berninger et Abbott, 2006),

  • reconnaitre des structures régulières dans les mots pour faciliter la récupération de la représentation orthographique afin de les produire et de les identifier avec précision (Bowers, Kirby et Deacon, 2010),

  • développer la connaissance des familles de mots pour lire et orthographier plus efficacement (Chapleau, 2023).


Chez les élèves présentant une dyslexie-dysorthographie, les difficultés concernent souvent la voie phonologique, rendant l’apprentissage du décodage et de l’orthographe particulièrement laborieux. L’enseignement de la morphologie dérivationnelle constitue alors une approche intéressante, car il permet de s’appuyer sur les compétences sémantiques et analytiques souvent préservées chez ces élèves comme le démontrent les interactions dans la vignette au début de cet article.


Ainsi, auprès de l’apprenant dyslexique-dysorthographique, plutôt que de proposer une rééducation corrective dans laquelle l’intervenant vise à renforcer les processus cognitifs déficitaires de l’élève, une rééducation compensatoire pourrait être privilégiée. Dans ce contexte, l’intervenant mise sur les forces de l’apprenant en difficulté, en développant des stratégies alternatives à celles qui reposent sur des processus cognitifs déficitaires. Par exemple, si un élève a des difficultés en phonologie, l'intervention sera centrée sur la morphologie dérivationnelle, en travaillant sur le sens des mots. Cette approche s’appuie donc sur les compétences préservées plutôt que sur les défis liés aux apprentissages pour cet apprenant.


D’ailleurs, l’application du programme L’arbre des mots (Chapleau, 2017; Chapleau, et Beaupré-Boivin, 2019) a démontré que des interventions ciblées en morphologie dérivationnelle peuvent avoir des effets positifs et significatifs sur la production de mots construits en écriture. Ce programme d’intervention orthopédagogique structuré, axé sur la découverte et l’utilisation des morphèmes (mots de base, préfixes, suffixes), auprès d’élèves du primaire identifiés comme ayant des troubles du langage écrit, a permis d’améliorer leur compréhension de la structure des mots, notamment en ce qui concerne les mots dérivés. D’autres résultats d’études (Bowers, Kirby et Deacon, 2010; Casalis et coll., 2004) soulignent que la conscience morphologique est un levier puissant pour soutenir les apprentissages en lecture et en écriture chez les élèves en difficulté. Ces interventions renforcent non seulement la compréhension du sens des mots, mais facilitent aussi la mémorisation de l’orthographe des mots dérivés.


En somme, l’enseignement de la morphologie dérivationnelle permet aux élèves dyslexiques-dysorthographiques de mobiliser des compétences sémantiques pour mieux comprendre, lire et écrire les mots. Lors de la rééducation, cette approche compensatoire amène l’élève à exploiter ses ressources cognitives intactes et peut contribuer à restaurer sa confiance et son autonomie au regard de l’écrit.

 

Bon enseignement de la morphologie!




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© CAP MORPHO, projet de recherche dirigé par Nathalie Chapleau, UQAM

© 2019 Nathalie Chapleau

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